AMBER FORT

Publié le par asaghost

Jaipur, Rahjastan, Inde
Heure locale : 11.11am Temp.ext. :49°C humidité : 0%
latitude : 26°59'12.07"N longitude : 75°51'4.93"E

Son : Amber, 311

 

Pour rejoindre le site du Fort Amber, on traverse le quartier le plus hallucinant que je n'ai jamais vu. Les égouts sont à ciel ouvert et des porcs de plus de 100kg chacun circulent entre les vaches, les chèvres et les gamins pieds nus, les chiens errants, les poules, sur les trottoirs défoncés, la rue mi piste mi bitume fissuré. Les animaux dorment où ils pissent, marche à l'ombre rare des maisons, se reposent dans l'eau stagnante des égouts, les vieux croupissent sur le seuil des maisons, au dessus des odeurs fétides, à côté des excréments de chiens, porcs, vaches, humains, le vent ne balaie rien, il accumule la poussière, fait doucement tournoyer la fournaise qui se heurte aux murs délabrés pour replonger dans la rue à la recherche d'un nouvel obstacle. Je ne sens même plus les odeurs, traverse l'épaisseur de l'air comme dans un rêve éveillé, un rêve presque cauchemar, toute l'horreur étant écrasé au sol par le lourd soleil qui ne s'arrête jamais, ne reste qu'une sorte d'indifférence obligée, genre de moment où il ne faut pas se laisser submerger par les sentiments sous peine de péter les plombs. La traversée de ce quartier dure prés d'une demi heure, de crasse, de merde, de regards fatalistes ou perdus. J'avais parlé d'antichambre de l'enfer pour Stung Meanchey au Cambodge mais je m'étais trompé, l'antichambre de l'enfer est ici, pendant la saison chaude au Rahjastan...Et puis enfin on sort de la ville pour se diriger vers les collines et au détour d'un virage, le fort apparaît et j'oublie tout ce qu'on vient de traverser. Perché sur les hauteurs, pierre dorée, une architecture dantesque se profile et découpe un coin de ciel bleu. La curiosité et l'impatience revient en force et je n'ai qu'une envie c'est de sauter de la voiture et foncer vers ce fort incroyable.

Ravindra me dépose au bas du chemin dallé qui mène à l'enceinte du fort. Une demi heure de montée dans la canicule. A peine sorti de la voiture, plusieurs indiens me sautent dessus pour me demander comment je vais, d'où je viens, combien je veux payer pour leur chapeau, leur bouteille d'eau, leur carte postale, leur chemise, leur sandale, leur peinture, leur tour en éléphant, en chameau, leur tapis, la visite guidée, me prendre en photo avec le fort en fond...Et ça, c'est ainsi partout où je me rends depuis que je suis au Rahjastan. Et la chaleur aidant, je craque un peu et les envoie balader, ce qu'ils font direct pour se jeter sur un couple de touriste qui débarque juste d'une autre voiture. Je n'ai pas fait trois pas qu'un jeune homme s'approche et me demande comment je vais, d'où je viens...je l'arrête là et d'un geste un peu énervé lui demande d'aller voir ailleurs. Sa réponse : Pourquoi vous, les Occidentaux, vous êtes toujours énervé ? ...Et voilà, nous y sommes, ça devait bien arriver, me faire culpabiliser parce que j'en ai ras le bol d'être pris pour une planche à billet partout où je vais, ce que je lui explique tout en continuant mon ascension vers le fort. Mais le jeune Indien ne me lâche pas et commence tout un speech sur le respect que je lui dois, sur le fait qu'en tant que visiteur dans un pays, je me dois de parler avec les gens, ce à quoi je réponds que parler ne me pose pas de problème, c'est juste que tout le temps au bout de trente secondes de conversation, on ne pense plus qu'à me vendre quelque chose que je ne désire pas. Il me réponds que lui il veut juste parler, alors nous parlons tout en montant dans la chaleur. Il continue sa tentative de culpabilisation, je lui dis qu'il doit arrêter avec ça, qu'on est en train de parler mais que je sais qu'il va vouloir me vendre quelque chose à la fin et c'est ça que je trouve irrespectueux car c'est prendre les touristes pour des portes monnaies, pas pour des rencontres. Il me rétorque que non, il n'essaie pas de me vendre quoi que ce soit, on parle, c'est tout. Et puis au bout d'une demi heure de montée, il finit par me dire qu'il va arrêter là et me laisser continuer. On est tout les deux en eau, haletant. Je m'apprête à lui dire que je suis content qu'il ne m'ait rien proposer à vendre quand il me sert la main en me disant : quand tu redescendras, vient me voir à mon stand, je peux te faire faire un tour en éléphant pour pas cher...Je retire ma main, blasé et le regarde filer. J'en étais tellement sûr que je me ferais prendre pour un con. Et doublement parce quand je remonte encore de quelques mètres, je débouche sur une entrée fermée et un autre indien qui me dit que pour accéder au fort, ce n'est pas par ici, il faut que je fasse demi tour, redescende et prenne l'autre embranchement. Je maudis ce vendeur de tour en éléphant et refais mon parcours en sens inverse, bifurque au bon endroit et arrive une demi heure plus tard, enfin, dans le fort, je n'ai plus d'eau, l'insolation n'est pas loin, j'ai du mal à marcher et à la vue des autres touristes (dont la plupart sont indiens), je réalise que je ne suis pas le seul à peiné. Certains sont avachis à l'ombre, d'autres tentent de récupérer en marchant lentement entre les arcades ouvertes sur la vallée, seul endroit où un peu d'air circule.

Je paye mon entrée et m'engage dans le fort et là, c'est le choc. Un nouveau choc. Un site exceptionnel, une architecture incroyable dont les jeux de lumières et de circulation d'air donnent l'impression d'avoir enfin trouvé la paix. Je passe prés de trois heures à errer dans les longs couloirs, les pièces vides, les terrasses ombragés, à regarder les plafonds finement peint, me régaler des échos de la lumière sur les murs ambrés, mélange de poudre de marbre et de poudre de pierre qui donne un rendu légèrement brillant, réfléchissant si bien qu'un petit éclat de soleil à travers une fente de mur provoque un halo lumineux dans des cheminements intérieurs qui autrement seraient restés sombres et sans vie. Il y a une véritable poésie qui émane de ce fort, et une intelligence particulière dans sa conception. Étonnants systèmes de canalisation, de latrines, de circulation de l'air, même la plus petite pièce donne envie d'y poser ses bagages pour y passer quelques semaines. Pour la première fois depuis prés de 15 jours, j'avance dans de l'air naturellement frais et je commence à revivre doucement ou plutôt, j'ai l'impression que mon cerveau s'est à nouveau reconnecté sur la réalité, j'ai envie de parler avec tout les gens que je croise, je souris comme un benêt et je ressors de là un peu à contrecœur, retour dans la fournaise et retour dans l'urbain, Jaipur, la Ville Rose....embouteillages de tuks tuks, cyclos, camions, vélos, chameau, vaches, cochons, retour à la normale, vêtement trempé de sueur, le corps qui s'affaiblit à nouveau, les pensées qui ramollissent, tant de contrastes permanents, les pensées qui passent d'un extrême à l'autre en quelques minutes...je regarde la suractivité de la ville et me demande si j'en sortirais indemne de tout ce foutoir...

 

Publié dans step 006 : Rahjastan

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